Composition du Pandemonium (par valleeducousin.fr)
Les titres en hypertexte ont été publiés sur valleeducousin.fr. Les autres sont en attente de publication.
- PREMIÈRE PARTIE (André Consigny)
- DEUXIÈME PARTIE : de août 39 à juillet 40 (Notes prises au jour le jour par André Consigny sur un agenda de poche)
- TROISIÈME PARTIE, par Amand Courcelle
- Le Parcours du Combattant
- Aujourd’hui 26 Décembre 1986
- À Amand Courcelle (réponse d’André Consigny)
- QUATRIÈME PARTIE : 10 et 20 ans plus tard (André Consigny)
- 3e Régiment de Dragons Portés « Ardet & Audet »
- 5 Juin 1940
- 26 MAI 1940
- Fritz 1-2 et 3
- Grosse Bertha contre Schoenenbourg
- Rectifications
- Et le dernier mystère de cette drôle de guerre
- Très longtemps après la guerre
- « La Guerre du Un pour Cent »
- Témoignage de Jean Gonod, et réponse d’André Consigny
- CONCLUSION
- Conclusions d’André Consigny et d’Amand Courcelle
- Ne jouez pas au soldat, par André Consigny
- A propos de la flamme du Souvenir, pour protester, par Drian
- Note d’André Consigny et remarques d’Amand Courcelle
- ÉPILOGUE
- Épilogue, suivi de « A MES PETITS ENFANTS », par Armand Courcelle
- 3e Régiment de Dragons Portés, Ardet et Audet
- Épilogue commun, par Amand Courcelle
- Dernier hommage à André Consigny par Amand Courcelle
Carte ajoutée par la rédaction avec les points de parcours cités dans cet extrait
Mardi 11 Juin 40 : entre l’eau et le feu
Le mardi 11 Juin 40 entre l’eau et le feu. Là une incroyable surprise pour moi m’attendait : Odile QUINET de Brienne le Château mobilisée au 18e régiment de chasseurs à cheval, et qui était entrée le 10 Mai avec nous en Belgique, était déjà ici avec ses chevaux qui avaient fait à pied toute la retraite de la Somme.
Les pauvres bêtes ont été abattues le lendemain par les boches, tandis que les chasseurs se tuaient en essayant de descendre le long des falaises de vingt à trente mètres de haut, vers Saint-Valery-en-Caux, avec des cordes à fourrages ou des fils de fer barbelés. On a même dit plus tard avec des bretelles de fusils ?
Illustrations ajoutées par la rédaction
3e RDP et 73e RA contre les chars allemands
On nous distribue six F.M., nos coffres sont toujours pleins de munitions, alors on reprend position. On peut croire que nous étions attendus pour l’ouverture du programme, car vers 10 heures quand les obus ralentissent, nous voyons avancer les chars, peu nombreux, c’est à dire pas très drus, mais de trois côtés à la fois.
Pour nous, 3e R.D.P. aucun moyen de défense, mais notre brave 73e R.A. [1] Lunéville est toujours à nos côtés, et en débouchant à zéro, fait antichar et en démonte quatre, les autres zigzaguent mais en perdent encore trois, il ne doit plus en rester beaucoup car on n’en voit plus, sauf un qui arrive sur nous comme un bolide.
Illustration ajoutée par la rédaction
A cent mètres, nous tirons dessus au F.M. mais sans résultat. Il entre dans le parc de nos voitures et tire à bout portant au bazooka sur chaque véhicule qui brûle et explose instantanément, carbonisant tous les gars qui étaient cachés dessous ou autour. L’assassin qui le commandait était sorti de sa tourelle et tirait à la mitraillette sur tout ce qui vivait encore.
Toutes nos armes s’étaient tues dans ce secteur de malheur. On n’entend plus que cris d’agonies, râles, ou crépitement des incendies. Encore trois camions à brûler et c’est mon tour, je suis enterré le long d’une chenille dans quinze centimètres d’aiguilles de pin c’est la politique de l’autruche, les minutes semblent des heures, et soudain je n’entends plus rien à part le bruit des patins qui décroît.
Est-il possible ? Pourquoi, soudain, n’a-t-il plus tiré, laissé des voitures, des armes et des canons intacts ? Mystère ! Alors je me relève et cours voir où étaient mes deux derniers conducteurs : CHENAL et ROUSSEAUX, ils sont tous les deux grièvement blessés, mais ROUSSEAUX est encore conscient. Un gars m’aide à le transporter dans une ambulance en panne où hurlent de nombreux soldats.
Illustrations ajoutées par la rédaction
CHENAL ne sera pas secouru, car un capitaine du 73e m’arrête et avec six hommes de toutes armes, nous fait mettre deux pièces en batterie, mais on ne comprend rien ; heureusement voici encore deux bricards du 73e qui surgissent et ce sont eux qui tirent sur la bif. qui émerge un kilomètre devant nous. Il nous envoie à nos F.M. en termes assez peu courtois, et dix minutes après, feu à volonté, et l’enfer recommence.
La colère et la haine : Les hommes n’existent plus, les bons sont morts, les autres sont fous.
Mais j’ai totalement changé de politique : moi le pacifique de 39, je ne cherche plus à tirer au-dessus des têtes, mais de plus en plus bas, ruminant ma vengeance, c’est la colère et la haine qui m’animent, et tout comme mes copains, je suis un fauve qui lutte contre des bêtes enragées.
Les hommes n’existent plus, les bons sont morts, les autres sont fous. Les tubes de F.M. sont rouges, et font de nombreuses brûlures aux chargeurs. Mais il faut tirer, même sans viser, tirer, tirer. Et ce devait être bon car on entend un gradé hurler des ordres : ’allonger le tir’. Est-il fou ? Non c’est vrai. ils reculent, mais ils sont de plus en plus nombreux.
Mais nous aussi d’ailleurs, car voici deux nouvelles pièces qui crachent, c’est incroyable ! d’où sortent-ils donc tous ces revenants. Et notre fou fait encore allonger le tir. On le voit nettement, il est juché sur quelque chose de très haut, sa silhouette se découpe dans le ciel en feu il se démène comme un démon. Il nous galvanise, nous n’avons plus peur ni des balles traçantes ni des minerves ni des 107 fusants.
Nous montons sur les talus pour voir ce que nous n’entendons plus, car nous sommes tous à demi sourds. Et ’ils’ décrochent les salauds ; c’est l’accalmie.
Toujours ce mardi 11 Juin, il est 23 heures 30, 73e et 3e se serrent les mains, certains pleurent et s’embrassent puis mettent le feu à ce qui reste. Ce jour là nous avons quand même eut l’impression d’avoir gagné une grande bataille, car ils ont bien reculé les v..…
Le radeau de fortune et l’aide des anglais
Mais nous avons su aussi que notre guerre était perdue ; nous étions décimés à 90%. « Liberté de manœuvre » lance un officier, « non ! » réplique un sous-officier : « Tous à la plage, il pourrait y avoir des bateaux Anglais. Nos transmissions ont lancé des S.O.S. depuis hier et nous assurent que les Anglais sont là tout près pour nous sauver ! » Nous y descendons donc.
Mais non, déception, rien que des épaves, des morts, et des blessés dont LEDAIN qui vient de recevoir une grenade sur le pied, mais elle n’a pas explosé, il l’a donc retourné à l’expéditeur, et là elle a fait du bruit.
Je propose de faire un radeau, accepté. Nous sommes encore 5 du 3e qui, fouillant les lots de bords sautés sans brûlés rapportons : clefs, pinces, marteaux, cordes et fils qui nous permettent d’assembler des poteaux téléphoniques, vingt pour être précis.
Mais la marée nous ramène toujours à la côte. Je pars donc à pied dans l’eau avec mes quatre copains en file indienne. Il est 2 heures, il fait très noir et l’eau monte à mi-corps quand tout à coup un phare s’allume sur un canon qui me vise. J’ai crié : ’Camarade’. Et une voix m’a répondu ’Yes’ c’était des amis.
Ils nous embarquent tous les cinq et nous emmènent en mer où stationne un petit bateau sur lequel nous sommes transbordés, et la barque repart au rivage et revient avec quatre nouveaux rescapés, puis retourne encore mais n’est plus revenue... Pauvres et braves marins Anglais, vous vous êtes sacrifiés pour nous. Puisse la France s’en rappeler toujours.
Notre bateau attend des heures nous sommes une trentaine dessus et il est déjà surchargé. Et il en arrive encore à tout instant : un radeau, une bouée, une planche ou un nageur quelconque.
Ce qui crée des scènes atroces, que je n’ose pas décrire ici tant l’horreur en est invraisemblable (En 1980, je retrouve un ancien du 3e R.D.P.. mais que je n’avais pas connu en 1940 : c’est Amand COURCELLE de Solesne [2] près d’Auxerre dans l’Yonne qui va vous décrire la scène la plus effrayante que nous avons vécu ensemble le 11 Juin, et que je n’osais pas citer. (Voir troisième partie, quelques pages pour une journée horrible).
L’aube du 12 juin : une lutte pour la vie ou la mort
Ce n’est plus la guerre, c’est la lutte pour la vie ou la mort et ce sont des crimes que l’aube du 12 Juin voit sur l’eau sombre de la Manche endeuillée. C’est là aussi que l’on peut constater la terrible tâche et la pénible responsabilité de nos pauvres officiers d’infanterie, dont l’un d’eux a dû être maîtrisé pour éviter son suicide.
Il fait grand jour et nous devons nous éloigner, car déjà des 77 tombent tout autour. On nous retransborde sur un très grand bateau : le Guernesey, une cinquantaine d’hommes, mais nous tiendrions des centaines, des milliers peut-être, et il n’est pas seul, une vingtaine d’autres bâtiments de tous calibres sont là aussi à attendre. Mais à attendre quoi ? D’être coulés peut-être ?
Nous ne sommes pas très rassurés malgré la protection permanente et efficace de deux cuirassés : les H 54 et L Il qui en D.C.A ne laissent approcher aucun avion boche. Nous voguons à quelques milles au large pendant 13 heures puis dans la nuit revenons à notre point de départ, sans doute pour essayer d’embarquer encore des troupes.
Mais hélas c’est un feu nourri qui nous reçoit, il faut barrer le plus vite possible. Mais nous sommes repérés et poursuivis par un sous-marin parait-il jusqu’à 11 heure le jeudi 13 Juin, nous décrivons de nombreux crochets en tous sens, ce qui permit bien-sûr de le semer dans le dédale des mines.
Illustrations ajoutées par la rédaction
L’Angleterre...
A midi un petit patrouilleur vient au devant de nous et nous trace le chemin pour entrer dans le port de Poole-Bournemouth où nous accostons à 13 heures. Alors ici quel réconfort, finie la pagaille du front, mais une organisation de premier ordre. Toutes les femmes sont en uniforme : soldats, chauffeurs, infirmières etc. Nous sommes reçus comme des princes, des héros… Hélas !
Elles nous lavent, nous rasent et poussent des cris horrifiés en voyant nos mini blessures : LEDAIN, un doigt de pied écrasé par une grenade, et moi un petit éclat de limaille de cuivre dans le ’garguillon’.
Nous devons nous camoufler pour échapper à l’hôpital. Nous sommes trop bien ici : linge propre, gâteaux, boissons, cigarettes, tout à volonté. Je veux les remercier en leur offrant un peu de mon unique fortune : des balles Françaises qui bourrent mes cartouchières. Pour elles c’est une royale récompense. Et je fus bien près d’être Kidnappé.
Nous passons le 14 sur la plage, et je pourrais être heureux, mais hélas la radio nous annonce que les boches percent entre Romilly et Saint-Dizier. Je hurle : « ils sont chez moi ». Mais ne peux pas le croire, car à quoi auraient donc servi les massacres d’hier à Dunkerque, Dieppe ou Veules les Roses ?
Samedi 15 juin : retour vers la France
Le samedi 15 Juin nous sommes invités à trois gars chez une charmante Anglaise pour le thé et le dîner. Nous jouons avec les gosses au ballon dans de superbes ’poufs’. Puis elle nous ramène au dernier bus à 23 heures. Merci Mistress Madge Holmes Solva Histes Avenue Parckstone Dorset Angleterre.
Le 16 rassemblement du 3e pour vue sur effectif : 150 ici, où sont les 3000 autres ? A 11 heures célébration d’un service à l’intention de nos amis absents. A 15 heures embarquons par le fer pour Southampton, puis là, par eau sur le ’Malines’ qui part le 17 à 5 heures pour arriver à Cherbourg à 10 heures (sans histoires).
Illustration ajoutée par la rédaction
Mais ici repagaille, le port est encombré par des centaines de bateaux dont le « Patrie » et « X 22 » ce qui était (ironie du sort) l’ancien sobriquet de LEDAIN. « X 22 » était un numéro attribué à Noël LEDAIN, alors qu’il faisait du contre espionnage en Allemagne en Mai 1939. On veut nous réarmer avec de vieux fusils de 1870 mais c’est la révolte, et tous ces vieux flingues sont cassés sur les bittes du port.
A 21 heures nous embarquons sur le ’Bordeaux’ qui ne part pas. A 22 heures 30 attaque de l’aviation, repoussée par le feu nourri de notre D.C.A. Le 18 à 6 heures, quatre bombardiers attaquent le port. Certaines bombes n’ont pas dû éclater et de nombreuses autres sont tombées dans l’eau, donc très peu de dégâts ce jour là.
A 10 heures évacuation par, d’abord les hydravions puis toute la flotte. A 10 heures 30 l’arsenal saute en partie. A 10 heures 45 le remorqueur ’L’infatigable’ nous sort du port et nous conduit au large de Brest où nous passons la nuit, pour repartir le 19 à 5 heures et arriver à Concarneau à 17 heures sous un chaleureux accueil de la population. Puis à 19 heures nous descendons sur le Sud. Tout le monde est content, mais moi je suis très malade 40° de fièvre, car ma blessure s’infecte.
Illustration ajoutée par la rédaction
Du 20 au 28 juin : de la Gironde à Bayonne, puis Tarbes
Et puis c’est le jeudi 20 Juin, nous sommes dans l’estuaire de la Gironde, au large de Royan, toujours roulé dans ma couverture toute salée, à même le pont, je brûle de fièvre et je voudrais bien être à l’hôpital de Bournemouth que j’ai fui bêtement. A midi, neuf Messerschits bombardent le port tout tranquillement, puis reviennent à 15 heures mais cette fois sont pris en chasse par cinq Curtis qui en abattent deux.
Illustrations ajoutées par la rédaction
A 22 heures nous levons l’ancre et voguons toute la nuit vers le sud pour arriver à Bayonne le 21 à 15 heures. Je peux à peine débarquer, mais des civils me donnent des cachets, et je peux enfin dormir aux entrepôts Javel. Nous repartons le 22 à 20 heures par fer, pour arriver à 5 heures à Tarbes caserne Larrey où j’entre à 6 heures à l’infirmerie et au lit. Oui un bon lit, voici onze mois que je n’en avais pas vu, mais je souffre trop pour l’apprécier.
Le 24 j’apprends l’armistice, mais je ne peux plus manger ni me lever.
Le 26 le major m’opère, il ne nous aimait pas, il m’a opéré ’tout vivant’ et m’a extrait non pas un, mais deux éclats de limaille de cuivre provenant certainement d’après lui de balle explosive, cautérisation à la teinture d’iode et toujours pansements humides. Alors le 28, comme prévu par l’infirmier, angine pour dix jours.
Le régiment qui nous a accueilli à Tarbes avait pour emblème : ’Noblesse oblige, Chamborand autant’. Nous n’étions plus des cavaliers mais des Chamborands, seulement nous n’avons pas voulu nous y conformer.
Juillet 1940 : enfin démobilisé
Le 9 Juillet, première lettre de Robert, ils ont eu la mienne du 25. Postes rétablies. Amen.
Le 15 et le 16 gardes à la gare où nous bénéficions d’un wagon de primeurs refusé, alors re-Amen.
Le 17 juillet 1940 : LIBÉRATION pour zone libre. Le jeudi 18 Juillet départ de Tarbes à 15 heures, Tarascon le 19 à 8 heures, Chalon-sur-Saône à 21 heures, Troyes le 20 à 18 heures et Jessains le 21 à 15 heures.
J’emprunte un vélo chez Tambourin et j’arrive le Dimanche à Morvilliers à 17 heures. Je suis dans les premiers rentrés. On ne pouvait être démobilisés que dans la moitié sud de la France et à condition d’y avoir un gîte et un emploi. J’ai donc fourni un certificat de mon ami d’active : Raymond BONIN, meunier à Le Fays Saône et Loire. Mais j’étais trop bien parti pour ne pas tenter encore ma chance. Et ça a réussi. Je suis rentré dans ma France, occupée bien sûr, mais par des types corrects, pas des S.S. comme ceux du front.