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La renouée du Japon, une plante tueuse dans la vallée du Cousin ?

Cette année, vous aurez sans doute remarqué une plante inhabituelle dans les vallées de la Cure et du Cousin : ces volumineux massifs couverts de panicules de fleurs blanches en septembre-octobre se repèrent de loin. Originaire du Japon et acclimatée en Europe au XIXe siècle, Fallopia japonica est tellement invasive qu’elle est classée parmi les 100 espèces les plus préoccupantes au monde. Elle affectionne les milieux humides nutritifs riches en métaux et son impact sur les écosystèmes lui vaut parfois le surnom de plante tueuse...

Trois espèces invasives

Le terme de renouée du Japon correspond à l’espèce Fallopia japonica, autrefois appelé Reynoutria japonica ou Polygonum cuspidatum. En réalité, ce nom est souvent utilisé pour deux autres espèces très proches botaniquement et difficiles à différencier : Fallopia sachalinensis (renouée des îles Sachaline) et l’hybride Fallopia x-bohemica. Introduites en Europe comme plantes fourragères et ornementales, les renouées asiatiques se propagent à une vitesse fulgurante. Et maintenant... bien installées dans la vallée du Cousin ! Un processus irréversible ?

La renouée du Japon au bord du Cousin : vue depuis la route de Pontaubert
Fin septembre : les volumineux massifs de cette plante invasive en pleine floraison peuvent atteindre facilement trois à quatre mètres de haut.
La renouée du Japon au bord du Cousin : vue d’un massif
La renouée du Japon au premier plan avec en arrière-plan la rivière du Cousin
Tiges de renouées du Japon : rougeâtres, avec des fleurs blanches en panicules à l’aisselle des feuilles
Les fleurs blanches apparaissent en septembre-octobre
Tiges érigées semblables à des cannes de bambou
Les massifs de renouées du Japon en novembre, le long du Cousin, sur la route de Pontaubert
Le feuillage a pris sa couleur d’automne

Description botanique

Fallopia japonica, autrefois aussi nommée Polygonum cuspidatum est une herbacée vivace particulièrement vigoureuse.

  • Les tiges, très ramifiées au sommet, sont creuses. En hiver, la plante se dessèche et disparaît complètement... Mais au printemps, les tiges vert-glauque peuvent pousser de deux mètres par mois et atteindre 4 à 6 mètres en fin de saison végétative.
  • Les feuilles ovales-triangulaires de la renouée du Japon sont pétiolées et alternes. Elles peuvent atteindre 15cm de long chez F. japonica et 30cm chez R. sachalinensis.
  • Les petites fleurs blanches poussent en grappe à l’aisselle des feuilles du sommet à la fin de l’été ou au début de l’automne.
  • Les rhizomes persistants, longs (jusqu’à 7 à 10 mètres autour du massif) et profonds (une moyenne de 4 mètres de profondeur pour les massifs en place), sont capables de stocker des réserves exceptionnelles (pouvant permettre à la plante de repousser après 10 ans de latence). Ces rhizomes sécrètent dans le sol des exsudats dont les toxines inhibent la croissance d’autres plantes.

Multiplication végétative

En Europe, la reproduction de cette plante se fait surtout par multiplication végétative.

  • Par les rhizomes (un fragment de moins de 5g suffit à constituer un propagule) ;
  • Par des boutures de tiges.

Biotopes : sols perturbés

  • Biotope primaire : dans leur aire d’origine (Japon et îles Sachaline), les différentes espèces de renouée colonisent les pentes de volcans, où elles poussent sur des sols métallifères.
  • Biotopes secondaires : en Europe et en Amérique, ces renouées asiatiques colonisent de préférence les terrains à nu ou les milieux perturbés.
    • chantiers de construction
    • friches industrielles
    • fossés, accotements et talus des voies de circulation
    • anciennes décharges de déchets
    • berges des fleuves et rivières polluées en métaux
  • Caractères indicateurs : la présence de renouée indique généralement de graves déséquilibres du sol, avec une pollution en métaux, particulièrement métaux lourds et aluminum.

Impacts sur la biodiversité

N’ayant en Europe aucun prédateur ou compétiteur capable de réguler sa propagation, la renouée du Japon pousse en colonies dont la densité conduit à des peuplements monospécifiques.

Ses atouts pour la compétition avec les autres espèces sont :

  • Développement rapide dès le début du printemps grâce aux réserves exceptionnelles de ses rhizomes ;
  • Densité de feuillage occultant la lumière du soleil pour les autres espèces ;
  • Émission de toxines dans le sol ;
  • Système de multiplication végétatif ultra-performant.

Son impact sur la bio-diversité porte d’abord sur la flore... puis sur la faune autochtone, à commencer par les invertébrés, ce qui conduit indirectement à appauvrir l’ensemble des écosystèmes indigènes.

Malgré ses qualités mellifères fort appréciées des abeilles, cette plante constitue une menace pour la diversité des espèces mellifères locales.

Enfin, l’invasion de la renouée entraînerait celle de Lasius neglectus, une espèce de fourmis provenant de l’ouest de la Mer noire.

Impacts sur la rivière

L’hiver, lorsque la partie aérienne de la plante sèche, elle est emportée par les crues, provoquant des embâcles et favorisant l’érosion des berges ainsi mises à nues.

Réglementation

L’Union internationale pour la conservation de la nature a classé la renouée dans la liste des 100 espèces les plus préoccupantes.

Sa plantation est interdite en Belgique et en Grande Bretagne. Mais la France ne l’a toujours pas associée à la loi contre les introductions d’espèces invasives.

Ce qu’il ne faut pas faire

Même avec une réglementation visant à interdire sa plantation, il serait très difficile d’empêcher la propagation des renouées asiatiques et encore plus de les éradiquer définitivement. En revanche, un certain nombre de mauvaises méthodes, souvent pires que le mal, devraient être évitées.

  • Ne pas utiliser des engins de coupe qui hachent ou multiplient les morceaux (surtout pas de pas de broyeur, tondeuse, ou débroussailleuse) : chaque morceau de moins de 5g pouvant bouturer... on imagine facilement les conséquences, surtout en bord de rivière où l’eau se chargera de tout disperser en aval !
  • Ne pas utiliser de traitements chimiques (même les systémiques de type glyphosate... vous savez, celui que « monsieur tout le monde » utilise dans son jardin) : contrairement à ce que les fabricants de ces produits vous disent, aucune étude indépendante n’a pu démontrer que les traitements chimiques soient moins néfastes sur l’environnement que la plante à détruire ;
  • Ne surtout pas tenter d’excavation pour les massifs implantés :
    • à cause de leur profondeur, il est quasi-impossible d’arracher les rhizomes dans leur totalité même avec de gros engins ;
    • l’opération génère un risque réel de fragmentation des rhizomes, favorisant la multiplication végétative ;
    • cette action dégrade fortement les sols, surtout sur les berges... mais favorise la reprise des fragments de renouée, qui apprécient les terres remaniées ;
    • sans compter que jeter de la terre végétale constitue un vrai gâchis... ;
  • Ne pas injecter non plus d’azote liquide dans le sol : car cela détruirait aussi toute vie souterraine... dont nombre de petites bêtes et champignons sont, comme on le sait, indispensables à son équilibre.

Comment prévenir ?

  • Informer : c’est que nous faisons en rédigeant cet article... que vous pouvez conseiller à votre entourage !
  • Repérer et signaler : identifier et signaler les massifs en place, suivre leur évolutions. Vous pouvez laisser vos signalements sur le forum de l’article.
  • Ne pas replanter la renouée : ni dans son jardin, ni ailleurs ;
  • Occuper les sols à risque : mettre en place préventivement des plantes couvrantes concurrentes locales dans les zones où la renouée est susceptible de s’installer ;
  • Prophylaxie : nettoyer soigneusement tous les équipements ayant été utilisés dans un massif de renouées asiatiques... les outils des espaces verts constituent un vecteur important de diffusion des propagules.

Comment guérir ?

Aucune des méthodes de lutte testées ces dernières années n’a fait un miracle.
Certaines semblent toutefois permettre de contenir la plante tout en limitant les dommages collatéraux.

  • Lutte mécanique
    • l’excavation, ou arrachage des rhizomes est uniquement indiquée lorsque la plante commence juste à s’installer (moins de 2 m²)... mais à proscrire pour les massifs déjà bien en place, car un rhizome de renouée atteint rapidement plusieurs dizaines de centimètres de profondeur !
    • le fauchage, la coupe ou l’arrachage des tiges au niveau du sol est opération qui a pour objectif d’épuiser la plante et de réduire ses réserves. Elle exige des précautions très strictes : ne pas multiplier les morceaux (surtout pas de débroussailleuse !), tout ramasser et empêcher tout contact avec le sol. Il est conseillé, après séchage, de procéder à leur incinération.
      • à raison de 4 fois/an, cette opération permettrait d’endiguer l’expansion ;
      • la même opération répétée 6 à 8 fois/an pendant 4 à 7 ans permettrait même de faire disparaître totalement la renouée sur certains sites très envahis.
  • Lutte biologique
    • la plantation d’une végétation concurrente : plantes arbustives à développement précoce et rapide (saule, sureau, noisetier) à raison de 4 pieds par m² ;
    • le paillage au moyen de déchets de tonte frais de plantes sauvages à développement rapide (orties, consoudes) ;
    • la pâture : la consommation régulière des jeunes pousses par le bétail semble avoir un impact non négligeable sur la renouée. A condition, pour ne pas déstabiliser les berges, qu’elle soit pratiquée à une distance respectable de la rivière.

Manger la renouée ?

La renouée est classée très bon comestible dans l’Encyclopédie des plantes bio-indicatrices de Gérard Ducerf (Tome 1), qui met toutefois en garde quant au niveau de pollution de la station de cueillette. A titre d’information, on pourra lire quelques recettes sur cette page.

Voilà enfin un moyen original de contenir sa propagation, non ?

A condition, au préalable, de rechercher la présence de métaux lourds, aluminium et pesticides sur les stations concernées... en passant par le SIVU de la Vallée du Cousin ?

Mais, Ma, But, Aber... qu’est-ce qui est le plus dangereux ? Déguster épisodiquement des repousses de renouée du Japon de la vallée du Cousin ou bien consommer toute l’année les fruits et légumes hors-sol de l’agro-industrie ...?

La partie émergée de l’iceberg

La renouée asiatique, une tueuse ? Peut-être, mais si elle se plaît tant dans notre vieille Europe, c’est hélas que les sols pollués en métaux ne manquent pas... Elle doit donc être considérée comme la partie émergée de l’iceberg, un révélateur de nos mauvaises pratiques, passées... et actuelles.

Sources

Par Thiébaut

Publié le mardi 12 novembre 2013

Mis à jour le mercredi 11 mai 2022

#ecologie #especesinvasives