Une crue bienfaisante au confluent Mosel-Cousin [1]
Dimanche 5 juin, midi au marché couvert : on récupère de ces deux jours de fête franco-allemande. « Mein Opa !...Mein Papa ! » Parmi les photos d’archives exposées au marché couvert par le Comité de jumelage – merci à Patrick Garde qui les a mises en page - Anneliese vient de reconnaître son grand-père, invité aux 10 ans du jumelage, et son père, jouant du luth médiéval pour les Avallonnais lors du 30e anniversaire. Avec ses consœurs du Tanzgruppe de Cochem, Claudia, Linda, Nicole et Pam, elle nous a régalés hier soir d’une prestation enlevée, et pour finir décalée : la pop-dance en robe et corsage de vigneronne, ça vous réveille une fin de banquet ! Et à l’apéritif, les benjamines du groupe de danse Moselglück sont carrément venues chercher les « officiels » à leur table pour les entraîner dans leur chorégraphie.
Trois générations : déjà un beau passé commun entre Avallon la Bourguignonne au pied du Morvan et Cochem-la-vineuse des bords de Moselle. La Mairie et le Comité de jumelage d’Avallon sont résolus à en faire un avenir, la décision de revivifier le partenariat ayant été prise en janvier dernier par Wolgfang Lambertz et Jean-Yves Caullet, et pour cela de mettre à profit le 50e anniversaire du traité d’amitié conclu par Jacques Schiever et Willy Massoth en 1966.
Modèle de coopération décentralisée, les jumelages auront au fil des ans rendu banal ce qui semblait une gageure dans l’immédiate après guerre : pouvoir de nouveau serrer la main d’un allemand dans un camping ou sur une plage alors que les rancunes persistaient : un humoriste ne disait-il pas à l’époque que les seules ententes possibles entre nations étaient de nature gastronomique ? De ce côté-là, c’est gagné depuis longtemps, le persillé local et le chardonnay de Vézelay séduisant les buveurs de riesling, tout comme – belle performance -, la bière de St Père. On constate enfin en 2016 que la partie féminine de la délégation n’est en rien réfractaire à la tradition du bisou französisch.
L’Europe tambour battant
Samedi, 10h : défilé sur le marché au son des tambours de la Bürgerwehr, garde civique du château de Cochem, qui accueille en costume du xviè siècle Mme la Sous-préfète à la Mairie, avec deux rangs de hallebardiers flanqués de délicieuses cantinières. Discours, hymnes nationaux, échange de cadeaux : des deux côtés, on a choisi des panoramas grand format de nos villes-sœurs. Volonté affirmée de part et d’autre : impliquer davantage les associations, voire les entreprises, et les rapprocher selon leur centre d’intérêt. Puis l’après-midi, visite de la basilique de Vézelay où nos lansquenets font forte impression, avant de se préparer pour le dîner officiel au Marché couvert, animé par les groupes allemands et la note latine et 1960 de l’ami Filippo.
Le dimanche matin, ils apprécieront fort la surprise finale : le musée du costume, botte secrète de l’Avallon touristique où une Marthe Carton toujours aussi guillerette jubile de présenter sa demeure. « Sie ist 92.Jahre alt ! »(elle a 92 ans). Murmure incrédule et sidéré des filles du groupe Moselglück.
« Si c’était à refaire, je commencerais par la culture » : on ne peut que reprendre aujourd’hui cette phrase lourde de repentance attribuée à Jean Monnet, l’un des pères de l’Europe sauce bruxelloise. Car c’est bien d’elle qu’il s’agit, de cette Europe « à laquelle on reproche tant et à laquelle on doit tant », comme le disait Jean-Yves Caullet lors de son allocution : a-t-elle dévié de son projet, cette construction technique à laquelle on désespère de donner un peu d’idéal ? La clé est entre les mains des sociétés civiles dans un continent où les États-nations sont paradoxalement la réalité tangible. Mais à l’heure où pianoter sur Dégrifftour suffit pour trouver un vol pour Berlin la dynamique ou Madrid la noctambule, les jumelages de Opa et de Papa sont ils dépassés ?
« Échanger des connaissances, des expériences, du savoir-faire dans tous les domaines » était en 1957 l’objectif affirmé par la Charte Mondiale des Villes Jumelées. Le serment renouvelé par Avallon et Cochem le 4 juin revendique un même projet, simple mais lourd de devoirs :
Poursuivre et maintenir les liens amicaux qui se sont tissés entre les membres de nos communautés,
Promouvoir et développer en tous domaines les échanges entre les habitants et les associations de nos deux villes, pour que les jeunes, tout particulièrement, construisent un monde meilleur porteur d’espoir et de paix.
Ajoutons pour faire bonne mesure, la pratique de la langue de l’autre. Près du marché couvert, ce panneau bien connue des Avallonnais : Cochem 498 km. C’est moins loin que les plages, à peine plus loin que le ski...
Quant aux milliers de micro-contacts entre particuliers et associations, dont les technologies actuelles démultiplient les possibilités, ils sont un peu les connexions neuronales entre peuples : les élargir et en densifier le flux, voilà qui devrait donner un peu de chair à l’Europe, condition première pour lui faire retrouver l’idéal.
Jean-Noël Lallement