Journal > Culture >

Réflexion

« The Voice », une émission de TF1 comme accroche dans le programme culturel de la ville d’Avallon...

Proposition de réflexion sur la culture et la problématique de l’ouverture culturelle

Le programme culturel 2014/2015 de la ville d’Avallon mentionne explicitement, à la page du concert du 21 mars, « Artistes de l’émission The Voice ». Le choix de ces artistes n’est absolument pas en cause : nous avons d’ailleurs annoncé le concert dans l’agenda du site. En revanche, citer une émission populaire de TF1 comme accroche dans un programme municipal pose question et mérite réflexion. Pourquoi ?

Qu’est-ce que The Voice ?

« The Voice, la plus belle voix » est une émission de télévision française de télé-crochet musical diffusée sur TF1, produite par Shine France. Sur wikipedia on peut lire : The Voice s’est très vite imposé comme un programme phare de TF1, réalisant des scores que la chaîne n’avait plus vu pour une émission musicale depuis la Star Academy.

L’émission parvient à rester systématiquement en tête des audiences les soirs où elle est diffusée. Une seule exception est survenue lors de la première saison, où la finale de la Coupe de France de football avait réuni plus de téléspectateurs que le télé-crochet de TF1.

Qu’est-ce que TF1 ?

La première chaîne européenne en matière d’audience, dont le groupe Bouygues est l’actionnaire principal. Le Directeur de TF1 en 2004, Patrick Le Lay, avait dit ceci :

« à la base, le métier de TF1, c’est d’aider Coca-Cola, par exemple, à vendre son produit (...) Or pour qu’un message publicitaire soit perçu, il faut que le cerveau du téléspectateur soit disponible. Nos émissions ont pour vocation de le rendre disponible : c’est-à-dire de le divertir, de le détendre pour le préparer entre deux messages. Ce que nous vendons à Coca-Cola, c’est du temps de cerveau humain disponible (...) Il faut chercher en permanence les programmes qui marchent, suivre les modes, surfer sur les tendances (...) »

L’objectif avancé : attirer un public « populaire »

A nos questions sur les raisons de la mention « The Voice », la Direction des affaires culturelle nous a expliqué qu’il s’agit d’une stratégie visant à attirer un « public populaire », pour qui la télé est une référence, dans l’espoir de l’inciter à venir aux autres événements. Pour mettre cette « accroche » dans le programme, il était initialement prévu de faire venir The Voice (la « vraie » ?) en concert. Mais, à cause du prix, ce sont d’ex-candidats de l’émission qui ont été choisis.

« Du pain et des jeux » : la culture du divertissement

Un procédé qui n’est pas sans rappeler l’expression "Du pain et des jeux". Ces quelques lignes empruntées à Wikipedia peuvent alimenter notre réflexion :

Panem et circenses (littéralement « pain et jeux du cirque », souvent traduite par « Du pain et des jeux ») est une expression latine utilisée dans la Rome antique pour dénoncer l’usage délibéré fait par les empereurs romains de distributions de pain et d’organisation de jeux dans le but de flatter le peuple afin de s’attirer la bienveillance de l’opinion populaire. L’expression est tirée de la Satire X du poète latin Juvénal [1].

Aujourd’hui, elle est souvent utilisée pour signifier la relation biaisée qui peut s’établir dans ces périodes de relâchement, ou de décadence, entre :

  • une population qui peut se laisser aller, se satisfaire de pain et de jeux, c’est-à-dire de se contenter de se nourrir et de se divertir et ne plus se soucier d’enjeux plus exigeants ou à plus long terme concernant le destin de la vie individuelle ou collective.
  • un pouvoir politique qui peut être tenté d’exploiter ces tendances « à la vie facile et heureuse » par la promotion de discours et de programmes d’action populistes ou court-termistes.

Questions posées

Ouvrir la culture au plus grand nombre est un objectif plus que louable, qu’on ne peut qu’approuver. Mais la méthode employée nous interroge.

  • N’est-il pas discutable, d’utiliser à cette fin l’émission d’une chaîne privée qui revendique vendre de la pub par le divertissement ? Le « vu à la télé » doit-il servir de « produit d’appel » marketing pour « vendre » de la culture à des spectateurs qui seraient des « clients » ? « La culture est-elle un « produit » dont la télé serait l’unité de valeur ? »
  • N’est-ce pas ce qui s’appelle "donner son âme au diable" ?
  • Qu’est-ce que l’ouverture culturelle ? Comment la mettre en pratique ?
  • Qu’entend-t-on par « culture » : est-ce un « temple » dont il faudrait « chasser les marchands » ?
  • Comment favoriser l’accès à la culture : faut-il une « éducation culturelle » ? Si oui, comment la définir ?
  • Faut-il à l’inverse privilégier une « culture élitiste » réservée à des « initiés » ?

Pour une culture "élitaire", ni élitiste ni démagogique

Vous l’aurez compris : bien que nous soyons pour l’ouverture culturelle, nous désapprouvons totalement ce recours à l’émission populaire d’une chaîne commerciale dans le programme culturel municipal, que nous considérons comme de la démagogie.

Le rôle d’une politique culturelle publique devrait être de détourner le public des productions audiovisuelles de masse... pas d’en faire la promotion [2].

A celles et ceux qui nous traiteront d’élitistes, nous rétorquerons que nous sommes élitaires... et qu’il existe bien d’autres moyens d’ouvrir la culture au plus grand nombre.

Et pour défendre cette position, nous citerons René Pechère [3] :

« J’en ai maintenant bien assez dit pour être traité d’élitaire. Je l’accepte en précisant que je ne suis pas élitiste. Nous savons que notre époque souffre d’un emploi intempestif de certains mots au détriment de leur signification réelle. L’élitaire est partisan du premier choix. L’élitiste, d’après Larousse est partisan du système favorisant les meilleurs éléments d’un groupe, aux dépens de la masse, ce qui est abominable. D’où l’on peut déduire qu’un élitaire ne saurait être élitiste. Être élitaire n’a rien à voir avec la condition. Enfin, l’art est nécessairement élitaire parce que la création est le résultat d’une souffrance intérieure, de doutes et de paresse vaincus et qu’il est au bénéficie de l’humanité toute entière. Un système faussement démocratique qui aboutirait à faire la moyenne des aspirations de tout le monde ne donne pas le progrès. Ce dernier exige une créativité à un niveau élevé. »

Que faisons-nous pour la culture ?

Si vous lisez régulièrement valleeducousin.fr, vous savez que nous n’avons pourtant pas l’habitude de dénigrer la politique culturelle d’Avallon.

Non seulement nous relayons quasiment toute la programmation avallonnaise, dont saluons la qualité, mais nous y ajoutons bien d’autres événements culturels, à l’échelle du territoire.

Bien plus, nous sommes force de proposition, comme pour le spectacle "T’as le salut du poilu", que nous avions sélectionné et que la ville d’Avallon a finalement décidé de programmer en novembre 2014. Le créateur de ce spectacle, Jean Bojko, est par ailleurs connu dans la région pour son engagement à développer un théâtre qui redescendrait de sa hauteur pour investir le quotidien et « faire décoller des points d’interrogation ».

Et tout cela... sans TF1.

Votre avis nous intéresse

Ce sujet vous parle ? Nous invitons celles et ceux qui le souhaitent à exposer des points éventuellement différents dans le forum ci-dessous.


[2Comme la Direction des affaires culturelles de la ville d’Avallon l’a déjà fait récemment en organisant une vente de produits « érotiques » à l’occasion de la sortie de « Cinquante nuances de Grey », un film hautement cul-turel, que nous n’avions pas jugé utile d’annoncer sur Valleeducousin.fr

[3Grammaire des jardins / René Pechère Secrets de métier (2011, Éditions Racine)

Par Thiébaut

Le mardi 17 mars 2015

Mis à jour le 11 mai 2022

#resister