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La crue du Cousin de 1678 et la papeterie de Vesvres

D’après un article de Pierre Rouleau, t. LXIX, 1975, 1976, Bulletin de la Société d’études d’Avallon

En juillet 1678, une crue du Cousin détruit le pont de Méluzien et le pont Claireau, les moulins à farine et le foulon, inondant les habitations... Aura-t-elle eu raison de la papeterie de Vesvres ?

Situer Reposeur sur la carte de Cassini

En 1678 Méluzien se situait sur la rive gauche du Cousin, tandis que Reposeur s’étendait sur la rive droite, au bas de la route de Chassigny et sur la route des milleries, avec à droite le moulin de Cayenne (appartenant actuellement à Monsieur Morin), à gauche le moulin Bonin-Pinaud et plus haut le moulin Hoirs. Reposeur était le nom d’un ancien propriétaire : Jean Reposeur, un seigneur.

Reposeur et Méluzien sur la carte de Cassini

La crue dévastatrice de juillet 1678

En juillet 1678, une crue du Cousin détruit le pont de Méluzien et le pont Claireau, les moulins à farine et le foulon, causant de gros dégâts à la papeterie de Vesvres... (Arch. Avall.CC 20)

Moulin à foulon
Cette planche représente une vue en perspective du mécanisme d’un moulin à foulon traditionnel. L’arbre à cames, entraîné par une roue hydraulique, fait retomber alternativement sur l’étoffe de lourdes piles de bois.
Encyclopédie de Diderot et d’Alembert, Paris, 1750-1780.

En effet, le Cousin serait monté soudainement à 10 pieds [1] : 3m25 d’eau aurait déferlé sur Reposeur.

Deux recensements de la population permettent de se faire une idée des conséquences démographiques de la crue sur Reposeur :

  • 45 habitants en 1679
  • 20 en 1720

Pour information, voici les deux plus grandes crues du Cousin au XXe siècle :

  • La crue de 1910 était de 2m70 ;
  • La crue de 1929 ;
  • La crue du 10 juillet 1977 bat de 15cm celle 1678, avec une hauteur de 3m40 relevée à la station météo du moulin Veyrat par Monsieur Louis Patouret.
Crue du Cousin au Pont des gardes en 1961
Photo de Pierre Kill, Collection G.G.

La papeterie de Vesvres et Simone Maillard

En 1678, l’année de la crue, la papeterie de Vesvres a pour propriétaire Simone Maillard, veuve d’André Loiseau, qu’elle avait épousé en 1672, après avoir déjà perdu son premier mari.

Le filigrane de Loiseau : 1666 - 1667
Ce filigrane est inconnu de Charles-Moïse BRIQUET, né à Genève en 1839, qui a recensé 40000 filigranes.

Loiseau étant mort depuis 2 ans, c’est Claude Boussus, un ancien compagnon, qui dirige la papeterie... et l’avenir semble bien sombre, compte-tenu des dégâts.

Mais en le 22 juin 1681 Simone Maillard se remarie avec Charles Bailly, charpentier de son état, qui restaure la roue et les piles emportées.

Pile hollandaise ou « cylindre hollandais », inventée en 1673, contemporaine de Simone Maillard
Il s’agit d’un cylindre de bois serti de lames de métal qui frottent sur une platine constituée de lames fixées au fond de la cuve déchiquetant les chiffons à leur passage. Le pourrissoir n’est plus nécessaire et le défibrage se fait en trois ou quatre heures.
Par Mr Durand (Jlpeter) [Public domain], via Wikimedia Commons

De nouveau veuve en 1688, Simone Maillard se remarie à 42 ans avec Francois Lamoureux, compagnon de la papeterie, qui a certainement joué un rôle important dans l’essor que connaîtra l’entreprise pendant une trentaine d’années.

Filigrane de François lamoureux, entre 1681 et 1720

Simone Maillard mourra à 73 ans, suivie de peu par François Lamoureux, son quatrième mari, laissant les deux moulins à ses neveux Cadin.

Sans sa ténacité et la qualité de ses maris, la crue de 1678 aurait pu avoir raison de la papeterie de Vesvres.

Paul Raille et les ânes de Méluzien

En 1688, Paul Raille, papetier et huilier de Nuits-Saint-Georges, arrive à Vesvres comme papetier, où il devait avoir une place importante. Il épouse une jeune fille de Méluzien, avec qui il eut une nombreuse descendance, encore représentée à Avallon.

Monsieur Raille était considéré à Nuits-Saint-Georges comme un maître papetier. Son secret : toujours travailler avec de l’eau claire, contrairement aux papetiers de Vesvres qui avaient à gérer le flottage des bois, les orages et les crues qui n’attendaient pas toujours que l’eau s’éclaircisse dans les cuves.

Ânes servant au transport

Celui-ci, voyant les ouvrières peiner à porter les balles de chiffon sur la route de Méluzien - qui, jusqu’au XIXe siècle, n’était qu’un sentier - fit venir des ânes pour les soulager. Par la suite la tradition des ânes a perduré à Méluzien, où ils étaient parfaitement adaptés aux petites parcelles et aux besoins des agriculteurs.

La crue fatale du « progrès »

En 1719, Simone Maillard meurt. C’est son neveu Jacques Cadin, marié à Étiennette Gros, qui reprend l’affaire.

Filigrane de Jacques Cadin, entre 1715 et 1735
Filigrane de la veuve Cadin, après 1735
Pour la première fois on voit une cloche. Remarque : la cloche signale le format
du papier (il y avait les formats cloche, raisin, griffon...)

Après avoir dirigé à son tour la papeterie, cette dernière meurt en 1767. Son gendre, Claude Couty, dirige alors la papeterie, puis son fils Francois Couty et enfin Gaspard, Jean baptiste et Hubert Couty.

Le filigrane de Claude Couty : après 1740
Le filigrane de Francois Couty : après 1775
Filigrane à la cloche, considéré à tort comme la marque de la papeterie
La cloche signale le format du papier : ce n’est pas la marque de la papeterie de Vesvres.

Ce dernier vendit la papeterie à Auguste Lombard en 1858, date qui marque la fin de sa fabrication de papier blanc.

Il faut dire qu’à cause du non respect de la suppression des corporations de 1791 qui interdisait toute association de défense des intérêts corporatifs, les papetiers étaient les premiers à reprendre leur ancien comportement.

Ces conflits entre maîtres et manœuvres allaient favoriser l’arrivée des machines, d’autant qu’à cette époque trois grandes inventions voient le jour :

  • 1799 : Dans l’Essonne, Robert inventait la machine à faire du papier à une très grande étendue ;
  • 1813 : à Poncey, Leistenschneider réalisait une machine propre à suppléer la main d’œuvre dans la fabrication du papier ;

Auguste Lombard modernisa entièrement l’installation et ne fit plus que du papier gris. Après sa mort (1881), sa fille poursuivit quelques temps.

Finalement, c’est la crue du « progrès industriel », qui aura eu raison de la papeterie de Vesvres.

Généalogie des descendants d’Auguste Lombard

La suite généalogique : Lombard-Dubois, Dubois-Bourey, Dubois-Patouret, Patouret-Pernet et Patouret-Patouret, Patouret-Ternois... jusqu’à Patouret-Dumay.

Esquisse généalogique des descendants des papetiers de Vesvres

Tous descendent de ces grandes familles de papetiers, mais eux ont fabriqué du papier carton et d’emballage, sauf Sonia Patouret.

Il y a aussi une seconde branche de la lignée, les familles Petit et Millot qui eux n’ont jamais travaillé le papier et l’amiante.


[1Le pied défini par Colbert en 1668 et qui est reste inchangé jusqu’à la réforme de 1799 était de 324,8475mm

Par Gérard Gravouille

Publié le jeudi 19 février 2015

Mis à jour le mercredi 4 octobre 2023

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