Pour un Ciné-Club populaire, ouvert à tous !
VDC - Jean-Marie Barbaro, vous êtes à la fois le fondateur et le Président du Ciné-Club François Truffaut qui, d’après ce que nous avons pu lire [1], compte à son 32e anniversaire plus de 340 adhérents venant de 70 communes ! Il paraîtrait même que ce chiffre soit en hausse... et que vous parveniez à toucher toutes les couches sociales... Quel est votre secret ?
Jean-Marie Barbaro - Les chiffres que vous avez cité, ceux de la saison 2013-2014 nous ont fait en effet très plaisir, car c’est le fruit de notre persévérance à construire, dès sa création en 1983, un Ciné-Club populaire, qui touche toutes les classes sociales... avec des tarifs au plus juste. Nous pensons que le cinéma est une lumière à partager : ce serait dommage de la réserver à un groupe restreint de cinéphiles avertis ! Certains réalisateurs disent « Une fois qu’on a fait le film, il appartient au public ». Tous les avis sont intéressants : pour souligner cet esprit d’ouverture, les « débats » ont été remplacés par des « échanges ». Et notre prochain défi, c’est d’attirer plus de jeunes de moins de 30 ans !
Ariane : une femme de théâtre et de cinéma
VDC - Ariane Mnouchkine, metteuse en scène, scénariste et réalisatrice de films, a fondé en 1964 le Théâtre du Soleil, qui s’est installé à La Cartoucherie de Vincennes en 1970. Inviter cette femme connue pour son engagement, sur la scène comme en politique... ne fait-elle pas également de vous un Président engagé ? Qu’est-ce qui a déterminé cette invitation ?
Jean-Marie Barbaro - Ariane Mnouchkine est l’invitée rêvée de cette 32e saison, où nous cherchions à rendre un double hommage à la fois au théâtre et au cinéma, à la mémoire de François Truffaut, 30 ans après sa disparition. François Truffaut, dont le Ciné-Club porte le nom, a en effet été un grand amateur de théâtre : il y allait très souvent et y recrutait certains de ses acteurs. Mais j’avoue que moi-même je ne connaissais pas vraiment Ariane Mnouchkine.
Celui qui nous a mis en relation avec elle et qui l’a convaincue de venir dans notre petite ville s’appelle Max Douchin : un ami très fidèle du Ciné-Club, comédien lui-même, qui a commencé une partie de sa carrière avec Ariane Mnouchkine tout à fait au début du Théâtre du Soleil. Ce type sensationnel nous a entraîné à la Cartoucherie [2] pour aller voir Macbeth, la dernière pièce d’Ariane... et en profiter pour tenter de la « séduire » avec des chocolats avallonnais (sourire malicieux). A vrai dire, elle est tellement occupée que cela a été difficile, non pas de la rencontrer – car elle accueille personnellement tous les spectateurs – mais de lui parler !
La double mise en abyme des « Naufragés du Fol Espoir »
VDC - Le film « Les Naufragés du Fol Espoir » sorti en 2010, est presque la mise en abyme d’une mise en abyme : il a été tourné à partir d’un spectacle créé en 2010 à partir d’un texte, « librement inspiré d’un roman posthume de Jules Verne » par Hélène Cixous, qui raconte le tournage d’un naufrage... dont les rescapés, isolés de tout, sont contraints d’établir un nouveau « contrat social » . Pouvez-vous nous en dire plus sur le choix de ce film ?
Jean-Marie Barbaro - Ariane a eu cette idée d’en faire vraiment un film à part entière... et pas juste une simple captation de pièce : j’ai envie de lui demander pourquoi quand elle sera là. Un film qui raconte à peu près la même histoire, mais qui a fait l’objet d’un travail complètement différent, pensé pour le cinéma. Ariane n’en est d’ailleurs pas à son premier film : elle est connue notamment pour son « Molière », avec Philippe Caubère. Sans doute a-t-elle été influencée dès le plus jeune âge par son père, producteur de films, qui avait nommé sa compagnie Les films d’Ariane. En ce qui concerne « Les Naufragés du Fol Espoir », c’est en effet cette double mise en abyme qui nous a intéressée.
Le Ciné-Club : une « zone libre » grâce à ses adhérents
VDC - Dans ses vœux de 2014 [3], Ariane a dit : dès les élections passées, nos élus s’empressent d’apposer l’écriteau : « Chantier Interdit Au Public » « Déclarons-nous, tous, responsables de tout. Entrons sur ce chantier. »... puis « Ajoutons partout, à celles qui existent déjà, des petites zones libres. Oui, de ces petits exemples courageux qui incitent au courage créatif. » Le Ciné-Club n’est-il pas, à sa manière, l’une de ces « zones libres » ?
Jean-Marie Barbaro - Une zone libre ? Oui, grâce à ses adhérents, dont les cotisations permettent d’être, depuis le début, un vrai Ciné-Club affilié à une fédération (contrairement à de trop nombreuses associations qui en portent abusivement le nom). Parmi ces adhérents, ceux qui cotisent à l’année permettent même en quelque sorte de pré-financer la saison. Via ce système de fédération, nous payons le droit des films et nous pouvons choisir notre programmation en toute indépendance. La convention qui nous lie à la ville d’Avallon nous permet quant à elle d’utiliser les salles du Cinéma Vauban. Sur une idée de son gérant, Guy Voirin, nous proposons en outre depuis 2007 une autre programmation, appelée « Ciné-Cinéma », composée de films plus récents et dont les recettes vont entièrement à la municipalité.
Une personnalité oui, mais pas nécessairement des « stars »
VDC - Ce n’est pas la première fois que vous invitez des personnalités du cinéma à Avallon... Mais il y a certainement eu une « première fois »... et on peut imaginer que cela ne se fait pas tout seul. Pourriez-vous nous expliquer votre démarche au moyen de quelques exemples ?
Jean-Marie Barbaro - Après la mort de François Truffaut, en octobre 1984, on a tout fait pour que des gens de sa famille viennent nous voir : d’abord son épouse, Madeleine Morgenstern, puis son photographe de plateau Pierre Zucca... mais aussi des représentants de la nouvelle vague comme Claude Chabrol ou Fanny Ardant. Depuis, chaque année, on ne cesse de contacter ces gens très sollicités pour les rencontrer « en vrai »... pour les convaincre de l’importance que leur simple présence peut apporter à notre petite ville de campagne de 7500 habitants. En général, nous essayons d’avoir deux ou trois invités par an. Il faut de l’acharnement, parfois il y a des déceptions... et dans tous les cas, il faut s’y prendre nettement en amont. Depuis 8 ans, en tant que Président de la Commission du film de Bourgogne, j’ai aussi l’opportunité de rencontrer sur les tournages certains acteurs ou réalisateurs.
Petite précision : quand on parle de « personnalités », ce n’est pas au sens de « stars ». Ce qui nous intéresse dans le choix de ces invités, c’est plus de trouver à la fois une « personnalité » et des "valeurs humaines". Fanny Ardant a été d’une simplicité extraordinaire, idem pour Claude Chabrol. Notre Président d’honneur, Bertrand Tavernier, nous a soutenu dès le début... De merveilleuses rencontres avec des personnes prêtes à s’investir pour des petits ciné-clubs comme le nôtre.
Convivialité, ouverture, hospitalité
VDC - Le Théâtre du Soleil fonctionne en « société coopérative ouvrière de production ». Sur leur site on peut lire [4] : « C’est d’échange qu’il s’agit. Si la nature et le milieu créent des inégalités de chances, au Théâtre du Soleil, tout est fait pour que chacun développe au maximum ses dons, ses qualités, sa personnalité ». Vous qui préférez le mot « échange » au mot « débat » [5], pourriez-vous décrire la philosophie qui anime l’équipe du Ciné-Club ?
Jean-Marie Barbaro - Une machine comme le Ciné-Club nécessite beaucoup d’idées, mais aussi du bénévolat. Un « noyau dur » d’une quinzaine de personnes, que l’on a fini par appeler les « militants bénévoles passionnés », s’est progressivement constitué. Nos points forts, c’est la convivialité, l’ouverture et l’hospitalité. Entre les deux projections que nous organisons en l’honneur d’un(e) invité(e), nous proposons encas et vin chaud sous une extension temporaire improvisée devant le cinéma. Après les séances, des membres bien-nommés « les marmitons » proposent un repas « faits-maison » à l’Hôtel Gouvenain, pour prolonger la soirée de manière plus « familiale », en toute simplicité. Une convivialité bien naturelle, qui participe essentiellement au climat de bienveillance et de confiance, favorable à la découverte de nouvelles programmations.
Le cinéma comme « acte culturel »
VDC - « En ces jours de ténèbres nous avons une mission : apporter aux vaisseaux qui errent dans le noir la lueur obstinée d’un phare. » Cette phrase finale du spectacle « Les Naufragés du Fol Espoir » correspond-elle à la mission que le Ciné-Club François Truffaut s’est donnée ?
Jean-Marie Barbaro - Une très belle phrase, qui renvoie en effet à la métaphore de l’écran de cinéma... du moins celui que nous aimerions promouvoir : le cinéma comme acte culturel, celui qui ouvre l’esprit, le met en éveil. La culture, c’est l’éducation. On est très fier de pouvoir accueillir Ariane Mnouchkine, parce que je crois qu’on a beaucoup de valeurs en commun. Notre ami Max Douchin a dû lui expliquer cela... et c’est peut-être ce qui l’a amenée à accepter de venir chez nous ?
Prochain invité : René Féret avec « L’île de Sakhaline »
VDC - « L’île de Sakhaline », réalisé par votre prochain invité, René Féret et qui sera projeté à Avallon en avril 2015, est lui aussi un film « engagé ». En terme d’engagement, il s’agit de celui d’Anton Tchekhov, qui découvre dans l’île Sakhaline un véritable enfer nourri de misère morale et physique, de prostitution, de sévices et d’exécutions... un lien volontaire avec le sujet de prédilection d’Ariane Mnouchkine, celui de la « condition humaine » ?
Jean-Marie Barbaro - A vrai dire, ce qui nous a intéressé chez René Féret, c’est sa manière de s’engager dans le cinéma... qui ressemble dans une certaine mesure à celle d’Ariane Mnouchkine. Il fait du cinéma avec une famille qui est toujours un peu la même, se produit lui-même : pas du cinéma à gros budget, mais des films intimistes comme Baptême ou La Communion solennelle. En 1992, on a fait en sorte qu’il puisse tourner son film Promenade d’été à Avallon, (il n’y avait pas à l’époque de Commission du film de Bourgogne). Par ailleurs, un membre du bureau du Ciné-Club l’a connu très jeune, à l’époque où il se faisait appeler René-Marie. Vingt-deux ans après, il revient apparemment sur ses lieux de tournage avec beaucoup de plaisir. C’est ce genre de personnes qu’on veut mettre en avant et qu’on aime rencontrer.